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Cas clinique

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La petite fille qui ne faisait plus caca !

Voici l’histoire étonnante d’une petite fille que j’ai eue comme patiente. Quand je la rencontre pour la première fois, elle est sur le point de subir un acte chirurgical ! Judith est âgée de quatre ans. Depuis son plus jeune âge, sa maman a remarqué combien elle est constipée. Pas d’autres symptômes digestifs. Pas la moindre régurgitation ni diarrhée… seulement une constipation. Depuis bientôt six mois, Judith ne va à la selle que tous les trois à quatre jours. On imagine aisément les douleurs ressenties par une enfant qui, de surcroît, a beaucoup de mal à exprimer ce qu’elle ressent. La constipation est un symptôme qui fait souvent sourire et qui est rarement pris en compte par le médecin. Et pourtant… C’est un symptôme qui évoque de nombreuses maladies et mème certaines associées à de la diarrhée : par exemple des intolérances alimentaires, ou encore la maladie de Crohn.

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Après un séjour aux urgences, les médecins diagnostiquent un syndrome occlusif, avec arrêt des gaz et des matières, et surtout vomissements de matières fécales… Mais n’ayant trouvé aucune cause mécanique obstructive, ils lui prescrivent des laxatifs en quantité et sur une longue durée, puisque rien ne permet de penser que cette constipation s’arrêtera un jour. Et c’est donc en désespoir de cause que la maman vient me voir en consultation. J’ai en face de moi une maman inquiète, désespérée de guetter chaque jour le moment où sa fille ira aux toilettes, de vérifier si oui ou non, elle a émis des selles, et une petite fille insouciante, faisant maints allers et retours entre le secrétariat et mon bureau, visiblement inconsciente et surtout blasée par des consultations nombreuses qui n’ont abouti à aucun changement dans sa vie. Je relève que l’enfant avait eu des manifestations pulmonaires et ORL dans sa petite enfance, entre 2 et 3 ans, avec des bronchites, des bronchiolites, des otites…

Je sais que l’intolérance aux produits laitiers se manifeste principalement chez les enfants par une constipation, si bien que j’ai dans mon esprit le postulat suivant : « Toute constipation chez l’enfant peut être due à une intolérance aux produits laitiers. »

Je ne parle pas d’allergie, mais j’emploie le terme intolérance, puisqu’on ne connaît pas le mécanisme et qu’il n’est probablement pas immuno-allergique. Il est ce que l’on pourrait dire « métabolique », sans que ce terme précise comment le lait peut induire une constipation. 

Est-ce un effet sur les fonctions mécaniques de péristaltisme du tube digestif (les contractions de la paroi de l’intestin qui font avancer tout en haut le bol alimentaire puis plus bas les matières fécales) ?

Est-ce un effet sur la qualité elle-même des fèces les rendant peut-être plus adhérentes à la paroi intestinale ?

Quoi qu’il en soit, à chaque fois qu’un enfant m’est signalé comme constipé, l’arrêt du lait de vache a des résultats spectaculaires sur le transit intestinal. Puisque je ne dispose d’aucun autre élément biologique, aucun rapport, il faut que je pose un diagnostic étiologique, c’est-à-dire que je délivre à la maman un diagnostic de la cause de la constipation de son enfant. Les différentes investigations me permettent d’écarter une maladie abdominale. Les bilans biologiques n’ont absolument rien révélé.

Au détour de la conversation, la maman me dit une chose terrible que je n’aurais même pas imaginé : « Vous savez, Docteur, on m’a proposé d’opérer ma fille pour lui mettre l’intestin à la peau. ». Cela s’appelle une colostomie, c’est-à-dire l’abouchement du colon à l’extérieur, pour que les matières fécales soient éliminées dans une poche qu’il faut bien entendu remplacer une ou deux fois par jour.

Quel handicap !

Or s’il existe des maladies pour lesquelles on ne connaît pas la cause, cela ne signifie pas qu’il n’y a pas de cause. Il y a toujours une cause à tout…

Sans autre argument notamment biologique, je déclare que la constipation est, chez cette enfant, l’expression d’une intolérance au lait et aux produits laitiers et qu’il faut désormais arrêter toute nourriture contenant peu ou prou de la matière lactée :

« Ah bon Docteur, il ne faut donc pas de lactose !!?

Du quoi ? Du lactose ? M’avez-vous entendu prononcer ce mot ?

C’est ce que vous venez de dire Docteur : plus de lactose !

Pas du tout, Madame. Je vous ai dit plus de lait. Ce n’est pas la même chose. Le lactose est une molécule sucrée que l’on peut retirer du lait mais pour autant ce lait de vache ne contenant plus de lactose aura les mêmes effets négatifs chez votre fille. »

Il est en effet habituel d’entendre les patients confondre l’intolérance au lait et l’intolérance au lactose.

Rien à voir, pourtant. Le lactose est une molécule indigeste, constituée de deux molécules, une de glucose et une de galactose qu’on peut séparer au moyen d’une enzyme qui s’appelle lactase. Ainsi, à partir du lactose, on a deux molécules séparées distinctes (le glucose et le galactose) parfaitement digestes. Mais tel n’est pas le problème de la petite fille. Elle a une intolérance à tout ce qui constitue le lait. Je veux dire la caséine, la lactoglobuline, la lactalbumine, etc. Il est important d’insister là-dessus, tant les messages sur le lactose sont forts dans l’esprit des gens.

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Quelques temps plus tard, n’ayant pas de nouvelles de la maman, et toujours intéressé à connaître l’évolution de l’état de santé de mes patients, je questionne ma secrétaire, qui est l’amie de cette maman et qui lui avait conseillé de venir me voir. Et celle-ci de me dire : « C’est merveilleux, l’enfant va à selles tout à fait régulièrement, elle n’a plus de douleur abdominale. C’est incroyable. »

J’attendrai encore une semaine pour entendre de tels propos de la part de la maman cette fois-ci. Et voici ce qu’elle me dit : « L’enfant va bien, elle va à selles trois fois par jour ! »

Et là, je me pose la question : est-ce que ce n’est pas trop ?Tout ne se termine pas aussi facilement. Il faut encore voir à moyen terme puis à long terme. Car je me suis aperçu que la nature et la maladie veulent toujours reprendre leurs droits.

Deux mois plus tard, j’appelle donc la maman, qui me dit, un peu gênée d’assombrir une si belle histoire : « J’ai l’impression que la constipation reprend, Docteur. Judith a à nouveau un peu mal au ventre. Bien moins qu’avant, mais quand même, je me dis que c’est peut-être en train de revenir. »

Et c’est pourquoi aussitôt je lui dis qu’il serait utile de faire une analyse chimique des selles pour connaître l’état de la digestion (ce que l’on appelle le fécalogramme). Quant à moi, je l’appelle la coprologie fonctionnelle. Quand je demande à la maman si elle bien a donné la selle de toute une journée pour mesurer la quantité de graisses et de protéines dans les matières fécales, celle-ci me dit : « Oui, et on a même le résultat, il n’y a rien ! ».

Mais je ne me satisfais jamais d’une appréciation globale. Je veux voir les chiffres, vérifier que l’examen a été fait dans de bonnes conditions, et je demande alors à la maman de me le faire parvenir.

Je constate alors une anomalie manifeste : une excrétion accrue de graisses dans les selles atteignant les 10 g par 24 heures, là où les valeurs normales ne devraient pas dépasser 2,5 g, ou au pire 4,5 g.

Il y a donc bien une anomalie (stéatorrhée) qui peut relever soit d’un trouble du pancréas que l’on appelle une insuffisance de sécrétion exocrine du suc pancréatique, soit d’une maladie de la paroi intestinale le plus souvent de cause ou de nature inflammatoire.

Voici donc l’explication : cette intolérance aux produits laitiers (qu’en aucun cas il ne faut remettre en doute) serait la conséquence de l’une ou l’autre de ces causes.

En parallèle, j’ai fait doser les immunoglobulines A, qui sont les anticorps dont les valeurs dans le sang vont refléter l’existence d’une pathologie intestinale, soit :

  • Un taux très bas, ce qui signifie l’existence d’un déficit immunitaire humoral en immunoglobuline A (le déficit le plus fréquent touchant une personne sur 700)
  • Un taux haut, qui reflète une cause digestive interne inflammatoire ou infectieuse

Ici, l’analyse révèle que le taux des anticorps était abaissé, cet enfant ayant donc un déficit immunitaire.

La boucle était presque bouclée. Il faut maintenant corriger l’anomalie supposée pancréatique en prescrivant à cet enfant du suc pancréatique (un médicament qui existe sous forme de CREON). Grâce à l’éviction du lait et à ce traitement médicamenteux visant à suppléer le manque de suc digestif, cette enfant n’eut plus de problème de transit et échappa à une lourde intervention chirurgicale inutile.

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D »après un article du Pr Philippe Humbert, publié dans : « Pure Santé » 2022.

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