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Les troubles de la respiration nasale

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Le nez, cet organe insoupçonné, voire délaissé – état des lieux et perspectives thérapeutiques :

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Le nez est constitué d’une partie visible dont la fonction reste principalement du domaine de l’esthétisme et d’une partie invisible, du moins à l’oeil nu. Cette partie invisible, participe à la réception des stimuli du monde externe vers le monde interne à travers trois fonctions :

  1. Conditionnement : l’air inspiré, destiné aux échanges respiratoires est filtré, humidifié et réchauffé.
  2. Immunitaire : de nombreux « encombrants » indésirables doivent être éliminés (pollution, poussières, pollens, virus, bactéries, champignons…)
  3. Odorat.

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La morphologie des fosses nasales est « biscornue ». En effet, il ne s’agit pas d’avoir des conduits lisses et sans détour. Bien au contraire, les cornets et les multiples recoins des fosses nasales forment un espace aux allures de labyrinthe. Cette particularité permet à l’air inspiré d’être inévitablement au contact des muqueuses. Mucus et poils (cils) constituent la surface des muqueuses. Cette surface muco-ciliaire composée à 95% d’eau, permet l’humidification de l’air, ainsi que la capture des indésirables.

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Nous verrons ici ce qui l’en coûte que de délaisser l’entretien des cavités nasales. Le nez qui coule, des ronflements nocturnes, une inflammation des muqueuses nasales : ces symptômes sont connus et vécus par tous, en particulier dans nos régions froides et humides. Un nez bouché de manière ponctuelle reste anecdotique, mais lorsque l’obstruction devient chronique, des réactions en cascade surviennent.

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Lorsque la respiration nasale est obstruée, une réaction physiologique de survie est mise immédiatement en place : respirer par la bouche. La nature nous a doté d’un système de secours qui peut devenir un système durable si la (ou les) causes ne sont pas traitées et si le comportement respiratoire n’est pas « réinitialisé ».

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Il m’est souvent nécessaire d’aborder avec mes patients le mode respiratoire qu’ils emploient, alors même que la problématique initiale semble très éloignée de ce type de préoccupation : retard de langage et de parole, difficultés scolaires, trouble de la déglutition et de la voix, troubles orthodontiques, etc… Pourtant, lorsqu’il n’est pas en souffrance, un nez fonctionnel est un régulateur thermique non seulement de l’air inspiré, mais il permet, par échange avec le sang dédié à l’alimentation du cerveau, d’être rafraîchi.

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Enfin nous nous arrêterons sur l’odorat, un des cinq sens que nous possédons pour capter les stimuli du monde externe et qui recèle un potentiel mnésique de rétention d’informations encore peu soupçonné dans la littérature scientifique moderne. Dit autrement, le nez capte de manière durable des informations perceptives précieuses se situant ainsi dans la catégorie des champions de la mémoire.

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Importance de l’hygiène nasale :

Fonction immunitaire court circuitée. A l’image d’un aspirateur, bien qu’un tantinet plus complexe, notre nez fait office de première barrière immunitaire. Il a la capacité de contenir les agressions aéroportées, empêchant leur propagation à l’oreille moyenne et aux bronches et leur diffusion dans l’organisme tout entier.

Trois lignes de défense s’articulent pour assurer cette fonction :

  • la fonction épithéliale ; organisée par la barrière épithéliale et par un réseau dense de mucus et de cils. Un film épais constitué de mucus, recouvre la surface de l’épithélium. Ce mucus est un gel visco-élastique contenant de nombreux éléments immuno-compétents. Les cils des cellules ciliées battent de façon constante et synchrones emmenant ce mucus vers le pharynx afin de l’éliminer.
  • Le système immunitaire annexé à la muqueuse nasale : les immunoglobulines A, les igA présentent dans les sécrétions nasales possèdent des propriétés multiples : inhibition de l’adhérence bactérienne à la muqueuse, neutralisation des virus et des toxines, limitation de l’absorption des antigènes (NB. est antigène toute substance que le sytème immunologique d’un individu reconnaît comme étrangère et qui provoque une réponse par la production d’anticorps).
  • Inflammation non spécifique : il s’agit d’une réaction physiologique et continue de défense et d’adaptation de l’organisme à son environnement, par le biais de l’inflammation.

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Pour revenir sur notre métaphore de l’aspirateur, alors qu’il me paraît logique de vider le sac d’un aspirateur plein, je rencontre curieusement un nombre assez impressionnant de personnes qui ne portent pas forcément une attention suffisante quant à l’encombrement de leurs cavités nasales ou de celles de leur chère progéniture. Lorsque mon aspirateur est plein, ce dernier refuse de fonctionner et me signale à l’aide d’un voyant lumineux, qu’il faut changer le sac. Fainéant que je suis et résolu à ne pas aller chercher un balai et une pelle, je me résous souvent à remplacer ce fichu sac. Bien qu’étant nous-mêmes dotés d’une technologie multi-millénaire et ultra-sophistiqué (on n’a pas encore inventé mieux que le corps humain) comment se fait-il qu’autant d’enfants soient ainsi peu connectés avec leur système de communication interne ? tel le voyant lumineux de mon aspirateur signalant le trop-plein de mon sac qu’en est-il des capteurs sensoriels ultra performants ?

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Ainsi, chez bon nombre de mes patients, la respiration buccale vient suppléer la respiration nasale et souvent faute d’une hygiène suffisante. NB. un nez obstrué doit faire l’objet d’un examen clinique permettant de brosser l’ensemble des causes possibles de l’obstruction (cloison déviée, allergie, tumeur, etc.). De manière physiologique, la bouche intervient lors de la respiration lorsque la demande en oxygénation est augmentée : effort physique, stress, obstruction nasale, etc. Bien qu’étant un système respiratoire complémentaire efficace, des conséquences « embarrassantes » immédiates sont observables : la bouche s’assèche, les lèvres se craquellent/se gercent, le sommeil est perturbé, des ronflements ou une respiration bruyante se font entendre, une fatigue se fait ressentir non seulement sur un plan physique mais aussi cognitif. Les sens sont moins en alerte et notre cerveau est moins disposé à gérer des tâches complexes. Nous le voyons à travers ce rapide tableau des effets immédiats que la respiration buccale n’est pas une fonction faite pour le long terme.

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Dans le cas d’une obstruction du nez, la bouche devient ainsi temporairement l’unique et principale canal de gestion de l’air inspiré et tente d’assurer à elle seule les deux fonctions de conditionnement de l’air mais surtout de défense immunitaire. En effet, la cavité buccale, bien qu’étant dotée de glandes salivaires, n’a pas pour vocation d’humidifier l’air inspiré. Respirez ne fut-ce qu’une minute la bouche ouverte vous constaterez rapidement du désagrément que cela cause du point de vue de l’assèchement.

En revanche, la fonction immunitaire immédiate est tout de même assurée par les amygdales (Communément appelé amygdales (du grec amande) ou végétations adénoïdes ou tonsilles – palatines, pharyngiennes et linguales).

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Le « cercle amygdalien de Waldeyer » autrement dit les amygdales pharyngiennes, palatines et linguales assument pleinement et exclusivement la fonction de première barrière immunitaire. Ces sortes d’éponges, ont pour fonction de stopper les intrus indésirables. Lorsque les indésirables sont captés, impossible de refaire marche arrière, ils sont piégés. Mais contrairement au nez que l’on peut nettoyer aisément par mouchage, éternuement, raclage, il n’est pas possible de nettoyer les amygdales. Le système immunitaire devra gérer en intra l’infestation. Il est très fréquent d’arriver à observer à l’oeil nu l’engorgement de ces éponges ; demandez à un enfant d’ouvrir la bouche et vous verrez, de chaque côté, entre les piliers (forme en voûte) de grosses masses, ce sont les amygdales. Lorsqu’elles sont en surcharge de travail, le gonflement est parfois tel, que le passage de l’air devient difficile. Non seulement le recours à une chirurgie devient une solution à envisager pour libérer les voies aériennes mais de plus, ce qui était à la base un système de filtrage et de défense immunitaire, devient à son insu un incubateur de bactéries et virus en tout genre. Une fois de plus, imaginez ces amygdales comme des éponges remplies/infestées d’indésirables… Vous comprenez donc maintenant que les coupables dans cette histoire d’hypertrophie amygdalienne, ne sont pas les amygdales en elles-mêmes, mais bien la fonction immunitaire du nez qui a été court-circuitée.

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Rappelons ici que l’anatomie du jeune enfant est particulièrement sensible à l’obstruction massive de ce cercle de Waldeyer de par son étroitesse. En effet, le volume des espaces rhino-oropharyngés de l’enfant est très restreint. C’est en grandissant que le volume de cet espace deviendra moins sujet aux encombrements. Des éponges pleines dans un petit espace encombrent plus rapidement que dans un grand espace. Ce détail vient souligner encore plus l’importance de gérer convenablement la libération de l’espace nasal dans l‘optique de décharger les amygdales.

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Vous le voyez sur le schéma de l’anneau de Waldeyer, les amygdales pharyngiennes plus communément appelées végétations, sont situées à proximité de la trompe d’Eustache. La trompe d’Eustache est le tube reliant l’espace pharyngé à l’oreille moyenne. Dit autrement, le nez et la bouche sont directement connectés à l’oreille moyenne via la trompe d’Eustache (NB. la trompe d’Eustache a pour principale fonction de réguler la pression de l’air (pensez à bailler lorsque vous prenez l’avion pour éviter les désagréments de changement soudain de pression).

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L’apparition d’otites chroniques semble être aussi une des conséquences des engorgements des amygdales. Voyez la proximité de « l’éponge remplie d’indésirables » (les végétations) avec l’autoroute de l’oreille moyenne : la migration bactérienne/virale via la trompe d’Eustache semble une hypothèse très plausible dans l’explication de la survenue d’otites chroniques. Suivez donc le raisonnement : chez un respirateur buccal chronique, l’engorgement des amygdales est plus fréquent, ce qui augmenterait par conséquent l’auto-infestation par la voie royale qu’est la trompe d’Eustache et donc l’apparition fréquente d’otites et ce, même en dehors de l’hiver.

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Quand on connaît les conséquences d’otites chroniques sur le développement du langage, on ne peut qu’être attentif sur l’état de fonctionnement du nez. NB. Je rappelle ici que « parler » est avant tout une question d’audition. Le jeune enfant dont le système auditif est déficient ne pourra pas bénéficier d’une écoute parfaite et ne pourra donc pas reproduire ce langage parlé. Une otite séreuse par exemple peut entraîner une hypoacousie dont la perte peut aller de 30 à 40 dB, ce qui est conséquent.

Je n’ai brossé le tableau que de deux types de conséquences directs de l’arrêt du système immunitaire du nez :

  • l’encombrement du cercle amygdales
  • les otites

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Il serait fastidieux de dérouler l’ensemble des conséquences que peuvent engendrer encombrement des amygdales et otites : maux de gorges récidivantes, insuffisance respiratoire, rhino-oro-pharynghites, bronchites, apnées du sommeil, hyperactivité, retard de langage sont en tête de liste.

Je dois rappeler qu’il ne s’agit pas ici d’apporter ici la solution miraculeuse à tous les maux que je viens de citer, je dis simplement dans mes propos que bon nombres d’infections pourraient être évités si l’intérêt d’une bonne hygiène nasale était systématiquement mise en place. Et la procédure est on ne peut plus simple : si le mouchage manque d’efficacité dans la vidange, se servir de sérum physiologique – la tête penchée en arrière facilite l’écoulement de l’eau jusqu’aux choanes (NB. jonction du nez et de la bouche). Moucher une narine après l’autre. Constater l’efficacité de la vidange en respirant… et voilà. Dans le cas où l’obstruction ne serait pas réglée pour autant, il est impérieux de demander l’avis d’un médecin spécialisé de type ORL pour trouver les causes de l’obstruction chronique.

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Déviance de la croissance osseuse : propos ostéopathiques/orthodontiques (Gisèle Martinot (2008), pour une lecture éminemment plus approfondie sur le sujet)

Sur le plus long terme, un respirateur buccal chronique peut voir apparaître des malocclusions dentaires liées à une déviance/insuffisance de la croissance de sa mâchoire. Le principe développé ici est celui du fonctionnaliste, en lien très étroit avec la vision de l’ostéopathie. Bien que la génétique soit responsable de bons nombres de déviances, il s’agit de se pencher également sur l’incidence des gestes du quotidien sur le modelage osseux/structurel. Pour le dire de manière bien trop rapide et bien trop simple, le squelette est une charpente intelligente qui s’adapte aux contraintes qu’on lui impose. Une des fonctions de l’os est de supporter les contraintes de la gravité, ainsi que des contraintes subjectives liées à chaque individu.

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La mâchoire d’un enfant est plus étroite que celle de l’adulte. Au cours de son développement et de sa croissance, il est impérieux qu’un enfant stimule la croissance osseuse. En effet, la croissance osseuse, bien que dépendante de facteurs génétiques, est aussi en lin très étroit avec l’activité musculaire. Prenons l’exemple d’une agénésie, c’est-à-dire de l’absence d’un organe à la naissance. Un enfant qui naîtra sans œil ne verra pas apparaître d’orbite. Le globe oculaire de par sa présence et ses mouvements vient « creuser » dans l’os du crâne la cavité orbitale. En l’absence de ce globe l’os ne subira pas de contraintes et donc ne verra pas cette cavité apparaître.

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Prenons un autre exemple, celui d’un enfant que ne stimule qu’un seul côté de sa mâchoire. Dans le cas où des caries, par exemple, empêchent de mastiquer d’un côté, le comportement immédiat est de mastiquer de l’autre côté – dans l’éventualité où aucun traitement ne soit prodigué, on voit la croissance de la mandibule s’effectuée de manière asymétrique. Un côté sera plus proéminent que l’autre.

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Dans le cas où la fonction de respiration nasale n’est pas assumée sur le long terme, c’est toute la face et les maxillaires qui peuvent en subir les conséquences. Ce phénomène courant a vu apparaître le terme de « faciès adénoïdien » ou typologie adénoïdienne, en référence aux adénoïdes, autrement dit aux amygdales. L’enfant présentant ce profil possède toute une palette de symptômes dont une déviance de la croissance osseuse de la mandibule. La mâchoire, par manque de tonus et de stimulation ne se développe pas suffisamment, ne devient pas assez large pour recevoir les dents adultes. On voit alors poindre les encombrements et mal occlusions dentaires en tous genres. On entend souvent parler d’un manque de place dans la mâchoire, ou « ma mâchoire est trop petite ». Une bouche ouverte de manière constante, entraine une croissance osseuse vers le bas, donnant l’aspect d’un visage allongé. La mastication est moins efficace, puisque les muscles masticatoires manquent de tonus et de force. En effet, garder la bouche fermée permet de tonifier naturellement les muscles masticatoires.

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De fait, un enfant respirateur buccale mastique peu et sans force, le geste est de moins en moins efficace et tonique. Les repas semblent d’ailleurs interminables, l’enfant garde longtemps en bouche les aliments qu’il a du mal à traiter. Hors, ce geste complexe, appelé trituration, permet un élargissement de la mâchoire sur un plan transversal, élargissement nécessaire dans l’accueil des dents définitives plus larges que les dents de lait. Le raisonnement est donc le suivant : garder en permanence la bouche ouverte (faute d’une respiration nasale efficiente), entrave au bon fonctionnement/au tonus des muscles élévateurs de la mâchoire, ne permettant pas un élargissement suffisant de la suture palatine et de la mandibule, les dents définitives n’ont pas de place et se font la place et se poussant anarchiquement les unes et les autres, créant ainsi des chevauchement et une mal-occlusion dentaires.

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Il existe encore malheureusement des orthodontistes non sensibilisés à ces notions de fonctions et de croissance osseuse : Il m’est arrivé de suivre un enfant présentant une typologie très problématique que l’on pourrait appeler vulgairement de prognatie mandibulaire, autrement dit la mâchoire du bas était propulsée vers l’avant donnant l’aspect d’un menton en galoche. Le contexte occlusal dentaire se retrouve ainsi compromis. Pendant quelques années la consigne de l’orthodontiste était simple « tu dois porter un appareil dentaire la nuit ». Au bout d’un certain temps, n’observant pas les effets escomptés, l’orthodontiste se demande si l’enfant porte bien l’appareil en bouche la nuit. L’enquête rapide révèle qu’effectivement il ne parvenait pas à garder cet appareil en bouche. Le coupable était donc trouvé. « Puisque tu ne réussis pas à garder cet appareil, nous allons t’aider. Tu vas porter un masque de rétention ». Ce masque entoure la tête et vient fermer mécaniquement, manu militari, la mâchoire. Autant dire que les semaines et les mois qui ont suivi furent pour l’enfant une torture non seulement physique, mais aussi psychologique. L’enfant zélé prêt à tout pour répondre aux exigences des adultes, ne parvenait pas à faire ce qu’on lui demandait de faire. Une consigne pourtant simple, « ferme ta bouche ». Sans oublier qu’il avait parfaitement compris les enjeux économiques encourus par ses parents.

Mais finalement personne ne s’était réellement posé la question, pourquoi cet enfant ne garde pas sa bouche fermée. La réponse semble pourtant tellement évidente aujourd’hui. Essayez de garder la bouche fermée lorsque votre nez est bouché !!! Je me suis aperçu bien plus tard, qu’en plus d’avoir une obstruction nasale chronique par manque d’hygiène régulière, sa cloison nasale était déviée. Quand on se repasse le film des 7 années passées dans le cabinet de ce gentil orthodontiste, les parents et l’enfant ne peuvent que garder un goût amer en bouche.

Cette histoire n’est malheureusement pas isolée et ne fait pas partie non plus d’un paysage historique révolu, bien au contraire.

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Des fonctions encore peu connues :

Refroidissement cérébral

Les muqueuses nasales sont le siège de variations vasomotrices spontanées. Ces variations constituent ce qu’on appelle un « cycle nasal ». Durant ce cycle, le calibre des fosses nasales subit à intervalle plus ou moins régulier, environ toutes les 3 heures, une diminution de la turgescence des tissus érectiles qui recouvre les cornets. Pendant qu’une fosse est turgescente, c’est à dire gonflée, l’autre est en vasoconstriction. Autrement dit il y a toujours une narine qui respire mieux que l’autre. La période du cycle nasal est individuelle et varie sensiblement d’une personne à l’autre.

En outre, il a été démontré que la ventilation nasale, en réchauffant l’air inspiré, permet par échange thermique de « refroidir » le sang artériel montant au cerveau, celui-ci étant très sensible à toute variation même minime de température. On sait ainsi que chacun de nos deux hémisphères cérébraux présente alternativement un optimum d’activité dont la périodicité est synchrone du cycle nasal.

Au vu de ces considérations, il n’est donc pas absurde d’avancer que la respiration nasale participe de facto à la régulation thermique du cerveau. Il s’agirait là, pour rester dans des comparaisons triviales d’une climatisation intégrée dédiée au cerveau.

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Cas clinique :

Arnold (prénom fictif) vient me consulter pour des difficultés scolaires. Ses enseignants disent de lui qu’il est gentil, mais qu’il n’est pas très attentif en classe. Je rencontre effectivement un garçon sympathique, mais endormi. Son faciès montre les caractéristiques typiques d’un profil dit adénoïdien, c’est-à-dire d’un enfant respirateur buccal : la bouche très souvent ouverte, un maxillaire peu développé, un encombrement dentaire, un visage allongé en forme d’olive, les lèvres gercées, des cernes bien marquées en dessous des yeux, son sommeil est perturbé, ses sinus sont peu développés, il présente même un léger défaut articulatoire, de type sigmatisme (zozotement). La saison hivernale est une période redoutée, puisque l’enfant présente de nombreuses maladies récurrentes; rhume, bronchite, sinusite, otite, etc.

La restauration d’une hygiène nasale quotidienne a permis à cet enfant d’être moins malade en hiver, mais aussi tout au long de l’année. Il va sans dire que ses résultats scolaires sans trouvèrent améliorés. J’observe souvent chez les enfants qui viennent me voir un éveil général, quasi instantanément. Lorsque la collaboration est installée et que l’enfant, ainsi que les parents, comprennent l’impact positif que peut avoir la respiration nasale, la transformation est visible en quelques semaines.

Conjointement, le zozotement disparaît progressivement dans la mesure où le tonus musculaire lingual s’est physiologiquement rééduqué.

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Faites donc l’expérience chez vous de garder la bouche ouverte et observez ce qui se passe en bouche. La langue se retrouve tapis dans la mandibule. Cette position constante, entraîne un ramollissement du tonus musculaire lingual. Le trouble articulatoire que présente ce type d’enfant est souvent lié au tonus musculaire. Retrouver une respiration nasale constante permet de retrouver un tonus musculaire lingual, c’est à dire « non travaillé de manière artificielle », ce qui, par effet rebond, permet une meilleure gestion du mouvement articulaire.

Il n’existe pas, à l’heure actuelle, d’études portant sur les variations thermiques de cerveau et les compétences cognitives chez des individus sains. La recherche actuelle se concentre sur les cérébro-lésés dont l’ennemi premier est l’hyperthermie cérébrale. Le refroidissement cérébral est un paramètre vital dans un contexte d’accident vasculaire cérébral, évitant ainsi les pertes cellulaires.

Mais une récente étude (Gallup, 2011) s’intéresse sur les effets du bâillement sur le refroidissement cérébral (rappelons que les causes du bâillement sont encore mal connues). Selon cette étude ce phénomène pourrait plutôt permettre une stimulation de la vigilance. Nous baillons environ 5 à 10 fois dans une journée avec une fréquence accrue au réveil. La dernière étude sur le sujet indique que le bâillement pourrait également jouer un rôle de régulateur thermique pour le cerveau. En effet, il semble que la fréquence des bâillements varie avec la saison et que les individus baillent moins quand la température extérieure est égale ou supérieure à la température corporelle. Pour en arriver à ces conclusions, la fréquence de bâillement a été observée chez 80 volontaires durant l’hiver (22 degrés en moyenne) et 80 autres durant l’été (37 degrés en moyenne) à Tucson en Arizona. Les résultats indiquent que les températures basses durant l’hiver sont plus favorables au bâillement (environ 50% des volontaires baillent) par contraste avec l’été quand les températures sont équivalentes ou supérieures à celles du corps humain (moins de 25% des participants baillent). De plus, le bâillement est associé au temps passé à l’extérieur, puisque 40% des participants baillent dans les 5 premières minutes après leur sortie, puis ce pourcentage chute à 10% ensuite en été alors qu’il augmente en hiver.

L’hypothèse avancée est que le bâillement est induit par l’augmentation de la température du cerveau et sert donc de régulateur thermique en favorisant les échanges d’air avec l’extérieur. Des températures extérieures proches de 37°C ne permettent pas au cerveau de se rafraichir contrairement aux températures basses de l’hiver. Cette théorie est renforcée par une précédente étude qui montrait une variation de température dans le cerveau de rats avant et après un bâillement. Le refroidissement du cerveau serait alors lié à l’augmentation du flux sanguin engendré par l’étirement de la mâchoire ainsi que grâce à l’échange de chaleur avec l’air ambiant qui accompagne l’inhalation profonde.

L’intérêt de cette étude est que le cerveau, de part son activité neuro-électrique, engendre une élévation de la température que le flux sanguin régule. L’élévation de la température du cerveau n’étant pas souhaitable, nous possédons naturellement des systèmes de régulation thermique principalement soutenu par le sang. Ce dernier, nous le savons avec certitude, effectue des échanges thermiques avec l’air inspiré par le nez. Il n’y a donc qu’un pas à faire pour franchir le pont qui sépare la respiration nasale et l’éveil cérébral.

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Fonction mnésique

Les propos qui vont suivre sont tirés des recherches et études récentes de l’université de Lyon, où une équipe étudie de près l’importance et l’efficacité de la mémoire olfactive. Dans sa thèse, Jane Plailly conclut effectivement que les réponses émotionnelles aux odeurs sont sous-tendues par un large réseau neuronal, impliquant principalement, contrairement à ce qui était démontré jusqu’alors, l’hémisphère gauche de notre cerveau. Pour rappel, Paul Broca, dès 1860 démontrait que l’hémisphère gauche est dédié au langage, qu’il nous permet de raisonner de manière séquentielle, analytique, point par point. Le droit, lui, voit les choses globalement : il traite l’information de façon holistique. C’est toute la différence entre inspecter le terrain et sentir l’ambiance.

Selon la neuropsychologue, la mémoire olfactive présente l’avantage de résister très bien au temps. Ainsi, les odeurs génèrent plus de souvenirs autobiographiques anciens que les autres types de stimuli (Chu & Downes, 2002). La seconde caractéristique de la mémoire olfactive et d’être très émotionnelle. Tous les travaux de Rachael et Herz et ses collègues montrent que les odeurs provoquent des souvenirs plus émotionnels que les souvenirs associés à des stimuli visuels, tactiles, auditifs ou verbaux.

Ces deux traits essentiels propres à la mémoire des odeurs sont illustrés magistralement par Marcel Proust dans l’évocation d’un souvenir de sa petite enfance, qu’il se remémore en goûtant une madeleine trempée dans du thé :

« et tout d’un coup le souvenir m’est apparu. Ce goût, c’était celui du petit morceau de madeleine que le dimanche matin à Combray (parce que ce jour-là je ne sortais pas avant l’heure de la messe), quand j’allais lui dire bonjour dans sa chambre, ma tante Léonie m’offrait après l’avoir trempé dans son infusion de thé ou de tilleul. La vue de la petite madeleine ne m’avaient rien rappelé avant que je n’y eusse goûté ; peut-être parce que, en ayant souvent aperçu depuis, sans en manger, sur les tablettes des pâtissiers, leur image avait quitté ces jours de Combray pour se lier à d’autres plus récents; peut-être parce que, de ses souvenirs abandonnés si longtemps hors de la mémoire, rien ne survivait, tout s’était désagrégé; les formes – et celle aussi du petit coquillage de pâtisserie, si grassement sensuel sous son plissage sévère et dévot – s’étaient abolies, ou, ensommeillées, avaient perdu la force d’expansion qui leur eût permis de rejoindre la conscience. Mais, quand d’un passé ancien rien ne subsiste, après la mort des êtres, après la destruction des choses, seules, plus frêles mais plus vivaces, plus immatérielles, plus persistantes, plus fidèles, l’odeur et la saveur restent encore longtemps, comme des âmes, à se rappeler, à attendre, à espérer, sur la ruine de tout le reste, à porter sans fléchir, sur leur gouttelette presque impalpable, l’édifice immense du souvenir. »

Le domaine de la neuropsychologie étudie avec rigueur l’importance de la mémoire dans les processus d’acquisition du langage parlé. Les émotions et la parole sont largement considérés dans les cabinets des psychothérapeutes du fait même qu’il s’agisse-là du principal outil que nous ayons à disposition pour traiter de la souffrance humaine sous tous ses aspects.

Il ne reste ainsi qu’un pas à faire pour considérer le lien qui existe entre les odeurs, puissants stimulateurs de la mémoire et de la reviviscence des émotions (cf. Chapitre suivant « la mémoire émotionnelle des odeurs), et le langage.

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La mémoire émotionnelle des odeurs

Dans les champs d’études autres que ceux de l’olfaction, les auteurs démontrent la forte implication de l’amygdale dans les processus mnésiques émotionnels pendant l’encodage et la récupération des informations, autrement dit l’ensemble du processus de mémorisation. Les auteurs montrent que les parfums associés à des souvenirs personnels plaisants et émotionnels activent plus fortement l’amygdale et la région hippocampique que les autres stimuli. Jusqu’à maintenant, nous pensions que l’activation de l’amygdale était principalement dédiée à la perception de stimuli menaçant pour l’organisme… De fait, la mémoire épisodique est elle directement concernée par ces propos. La mémoire épisodique correspond à la reviviscence consciente d’expériences personnelles ancrées dans un contexte spécifique. La « madeleine de Proust » repris précédemment illustre parfaitement cela.

Les conclusions de l’ensemble des études portant sur la mémoire vont dans le sens d’une efficacité sans précédent sur les souvenirs rappelés par les odeurs. Ces souvenirs sont plus détaillés et plus émotionnels que ceux évoqués par d’autres modalités sensorielles. De plus, lorsque les dimensions d’un épisode sont étroitement liées, la perception de l’odeur permet le rappel de l’ensemble du souvenir.

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Conclusion

La problématique du mode respiratoire est largement située au second plan des préoccupations médicales et paramédicales. Force est de constater, au sein de mon activité clinique, que la plupart de mes patients n’ont strictement aucune idée de l’impact d’une déviance de la respiration nasale sur le moyen et le long terme. Très peu de médecins/pédiatres ne sensibilisent voire n’ont connaissance de ce qui peut découler d’une obstruction des conduits aériens supérieurs. Et pourtant : contexte ORL difficile, apparition du langage et de la parole retardés/déviés, décrochage scolaire, croissance osseuse déviée notamment en ce qui concerne la mâchoire, déviance/mal-occlusion orthodontique sont autant de conséquences possibles d’une mauvaise gestion de la fonction respiratoire nasale.

Il est fort probable que l’air inspiré par le nez permet, par échange thermique d’améliorer la vigilance et les compétences cognitives.

Enfin, le nez a pour fonction réceptrice de capter les odeurs, d’être, sans le savoir, récepteur d’une multitude d’informations sur notre environnement et sur nous-mêmes. A notre insu pourrait-on dire, notre nez capte et permet la mémorisation d’instants très précis dont la trace dans le temps reste quasi indélébile. Nous pourrions « imaginer » ici un moyen d’intégrer cette capacité mnésique, qui rappelons-le surpasse en efficacité tous les autres canaux sensitifs tels que la vue, l’ouïe ou encore le toucher, dans un contexte pédagogique mais aussi médical.

Il existe bon nombre de pratiques médicinales traditionnelles qui utilisent les HE et les parfums comme outil thérapeutique. Le regain d’intérêt sur les « pratiques alternatives » comme on les appelle chez nous, nous incite à un retour aux sources et un retour à soi, à son intériorité, à son fonctionnement. La médecine traditionnelle amazonienne, la médecine ayurvedique, la médecine chinoise et bien d’autres encore, emploient bon nombre de parfums dans divers contextes de soin. Il serait très intéressant d’étudier l’efficacité de l’emploi de parfums ou autres senteurs sur nos pratiques thérapeutiques modernes dans le traitement des affections liées au langage et à la parole comme la logopédie/orthophonie ou encore la psychothérapie.

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Bibliographie :

CHU, S. & DOWNES, J.J. (2002) Proust nose best : odors are better cues of autobiographical memory. Mem Cognit 30:511-518

GALLUP, AC, ELDAKAR, OT. (2011) Contagious yawning and seasonal climate variation.

Frontiers in Evolutionary Neuroscience, 2011 DOI: 10.3389/fnevo.2011.00003.

HERZ, R.S. (2002) A naturalistic study of autobiographical memories evoked by olfactory and visual cues: testing the Proustian hypothesis. Am J Psychol 115:21-32

HABERLY, L.B. et BOWER, J.M. (1989) Olfactory cortex : model circuit for study of associative memory ? Trends Neuroscience.

MARTINOT, G. (2008) Techniques logopédiques de rééducation myofonctionnelle.

Faculté de Psychologie et des Sciences de l’Éducation. Liège

PLAILLY, Jane. (2005) La mémoire olfactive humaine : Neuroanatomie fonctionnelle de la discrimination et du jugement de la familiarité. Thèse de doctorat. Université Lumière Lyon 2. Lyon.

PROUST, M. (1913) A la recherche du temps perdu. Du côté de chez Swann.

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